
Zadrima, l'art de cultiver le bonheur en soie

La culture de la soie, un temps menacé de disparition, réapparait dans le nord de l'Albanie grâce à un groupe de femmes qui maitrise chaque étape de la production, de la culture des vers au tissage du précieux tissu.
La tenue traditionnelle de la région de Zadrima, coincée entre les montagnes et la côte - écharpe en soie sur la tête, ceinture de soie fermant une blouse en gaze de soie étoffe de soie rouge sur la poitrine - est décrite dans plusieurs récits de voyages du début du XXe siècle
"L'histoire de la soie sur ces territoires remonte au dixième siècle", explique à l'AFP Aferdita Onuzi, ethnologue. Au fil des siècle, la production de cette région d'Albanie a souvent été exportée, et particulièrement appréciée par les noblesses italienne et française.
Au XXe siècle, le régime communiste a concentré tous les ateliers de fabrication pour ouvrir une unique fabrique de traitement et de tissage de la soie qui, à la chute de la dictature au début des années 1990, a été totalement détruite. Puis l'émigration massive et la concurrence des fibres synthétiques ont failli mettre à terre cette tradition.
Mais depuis une quinzaine d'années Franceska Pjetraj et sa famille, comme d'autres femmes de cette région, travaillent à la faire renaître.
"C'est une tradition aussi ancienne que Zadrima, autrefois les femmes d'ici s'habillaient en soie, c'était une de leur joie", explique Franceska, 30 ans qui avec Mimoza, sa mère, a ouvert son atelier. Comme les autres femmes qui y travaillent, elles tissent aussi les rêves d'une vie meilleure.
"Ici tout se fait d'une manière artisanale, la culture et l'extradition du fil à soie, le tissage jusqu'à la production finale", précise Mimoza, 54 ans, infirmière.
- Conditions idéales -
La région de Zadrima, où la nature sauvage est parsemée de villages pittoresques, offre des conditions idéales pour planter et cultiver les mûriers blancs, dont les feuilles sont la nourriture préférée du vers à soie.
"Elever un vers à soie c'est un monde fascinant", s'exclame Franceska tout en veillant sur les chenilles.
Installées sur les étagères d'une étable plongée dans l'obscurité, certaines semblent perturbées au moindre bruit, quand d'autres continuent, impassibles, à tisser leur cocon - sécrétant le fameux fil à soie.
"C'est comme un bébé : il demande autant de dévouement et d'amour que nos enfants. Son cycle de vie dure de 5 à 7 semaines et pendant ce temps, il faut le nourrir et lui prêter toute son attention", explique la jeune femme.
Délicats et très sensibles, les vers ne supportent pas les températures au-dessus de 28 degrés, ni le froid ou l'humidité, encore moins les pesticides, et les orages les effraient.
"Du cocon au fil puis du fil au tissage, c'est tout un art", décrit Mimoza, "il faut un savoir-faire, de la patience, mais aussi de la passion".
Les cocons sont récoltés avant que les papillons ne les quittent. Ils sont d'abord plongés dans un bain d'eau bouillante pour les ramollir puis sont agités avec un petit balai afin de dégager les fils, qui sont étirés, puis tissé.
L'an dernier Mimoza et sa fille ont pu produire 10 kilos de fils de soie, transformés en étoles, jupe ou blouses.
"Pour notre bonheur, les commandes n'ont pas manqué, parce que la qualité est supérieure et nos prix concurrentiels", se réjouit Mimoza.
A Zadrima et aux alentours, des centaines d'autres femmes se sont mises à la culture des vers à soie et au tissage artisanal en suivant leur exemple.
"C'est un métier très ancien, en voie de disparition, c'est aussi un art de grande qualité et je pense que [les maisons de haute couture] Versace ou Dolce Gabana devraient s’inspirer des tenues qu'on produit ici", sourit Rozana Gostorani, 18 ans.
Espérant un jour voir les soies qu'elle tisse sur son métier défiler sur les podiums du monde entier.
B.Ziolkowski--GL