
En Irak, la prospection pétrolière menace les mythiques marais mésopotamiens

Sous les roseaux tressés d'une hutte traditionnelle, la colère gronde au sein d'une assemblée citoyenne. Dans le sud de l'Irak, militants et villageois fustigent un projet d'exploration pétrolière qui risque de porter atteinte aux mythiques marais mésopotamiens, déjà ravagés par la sécheresse.
"Nous n'accepterons jamais", martèle le militant Murtada al-Janoubi, militant trentenaire et moustachu au teint mat, cherchant à galvaniser les habitants d'un village de la province de Missane, à l'orée des marais de Hawizeh classés au patrimoine mondial de l'Unesco.
Les marais sont en effet synonymes d'une civilisation millénaire de chasseurs-pêcheurs ayant préservé du mieux qu'ils pouvaient leur mode de vie traditionnel en tirant profit des richesses naturelles du secteur.
En 2023, quand les autorités ont convenu avec une entreprise chinoise de lancer la prospection pétrolière dans la zone de Hawizeh, les villageois d'Abou Khsaf n'ont pas immédiatement réalisé le danger.
C'est cette année qu'ils ont pris la mesure de ce qui se tramait, en voyant débarquer les machineries utilisées pour des études sismiques et pour déblayer une nouvelle route.
Si Hawizeh était menacé, "c'est un patrimoine historique, l'identité du Sud (irakien) qui disparaîtraient", confie M. Janoubi à l'AFP, lors d'une visite des marais chevauchant la frontière Irak-Iran.
Installer ici un champ pétrolier détruirait des marais millénaires, ayant abrité selon la légende le jardin d'Eden biblique.
Le gouvernement assure que les ministères du Pétrole et de l'Environnement coopèrent sur le dossier pour préserver les marais: toute exploration aura lieu à proximité, et non à l'intérieur de la zone.
Des images satellitaires capturées en mars par Planet Labs pour l'AFP montrent les traces laissées au sol par le passage de véhicules.
Ces images, explique Wim Zwijnenburg de l'ONG PAX, révèlent la "rapide" construction "d'une route de terre de 1,3 kilomètre dans la végétation des marais".
- "Laissez nos marais tranquilles" -
La province de Missane abrite plusieurs champs pétroliers - dont un administré par une compagnie étatique chinoise à quelques kilomètres des marais.
Les flammes des torchères sont même visibles depuis les embarcations de pêche sur les ruisseaux qui serpentent les zones humides de Hawizeh, souffrant déjà d'une baisse du débit des eaux, de précipitations en berne et de l'évaporation provoquée par des températures en hausse.
"Notre région est envahie par des champs pétroliers: n'est-ce pas suffisant?", fustige M. Janoubi. "Laissez nos marais tranquilles."
Le pêcheur Kazem Ali, 80 ans, comprend qu'un nouveau projet pétrolier serait synonyme de création d'emplois.
"Mais nous, les gens ordinaires, nous n'en bénéficieront pas", estime-t-il. "Tout ce que nous voulons c'est de l'eau."
Pour expliquer la sécheresse et la chute du niveau des fleuves Tigre et Euphrate - inondant jadis les luxuriants marais - Bagdad pointe du doigt le changement climatique et la construction en amont de dizaines de barrages chez les voisins turc et iranien, accusés de retenir l'eau.
A Hawizeh, l'eau subsistant ici et là dépasse rarement un mètre de profondeur. L'immense lac d'Oum al-Naaj a souffert: par endroit à peine trois mètres de profondeur, contre six mètres autrefois, selon M. Janoubi.
Si quelques milliers de familles vivent encore dans les grands marais du Sud, le rude quotidien a poussé de plus en plus d'habitants à rallier les villes.
Rassoul al-Ghurabi, 28 ans et éleveur de buffles, voit ses bêtes souffrir de la sécheresse. "Mais je ne quitterai jamais les marais et la liberté qu'ils m'offrent".
Un matin de mars en menant son cheptel à la pâture dans les marais, il est surpris par des ouvriers posant des câbles et forant des trous. Un buffle s'est même pris la patte dans un câble, raconte-t-il.
- Préserver la biodiversité -
Interrogée par l'AFP, la compagnie publique pétrolière de Missane dément: ces véhicules sont repartis de la zone après des travaux en lien avec un autre champ pétrolier attenant aux marais.
La nappe pétrolière souterraine de Hawizeh que les autorités espèrent, à terme, exploiter, recouvre 300 kilomètres carrés sous les marais, mais pas sous l'épicentre.
Si un projet pétrolier devait voir le jour, il respecterait les directives d'une étude d'impact environnemental et toute prospection serait menée "sans nuire à l'habitat naturel", rappelle la compagnie publique.
Les marais sont constitués d'un épicentre abritant des espèces animales protégées et servant de site d'escale pour 200 espèces d'oiseaux migrateurs.
Mais il y a aussi une zone tampon séparant ce secteur des régions attenantes, où se développe l'Irak moderne avec ses villes et ses champs pétroliers.
Des militants locaux ont accusé les autorités d'avoir mené des études sismiques dans l'épicentre.
Jassem Falahi, haut responsable au ministère de l'Environnement, indique que le statut protégé des marais n'y empêche pas des projets de développement.
Mais "ces investissements sont sujets à des conditions et des normes spécifiques: ils ne doivent pas perturber l'épicentre, ni affecter le site et sa biodiversité".
- Pétrole ou patrimoine? -
La nappe pétrolière souterraine de Hawizeh est déjà exploitée de l'autre côté de la frontière depuis près de deux décennies en Iran, où les médias locaux ont régulièrement tiré la sonnette d'alarme sur l'impact environnemental.
Là-bas, les marais appelés Hoor al-Azim - et souffrant de la sécheresse - accueillent plusieurs plateformes de forage.
Cette année, l'agence de presse iranienne Tasnim expliquait que des compagnies énergétiques ont obstrué des cours d'eau et asséché des zones pour construire leurs infrastructures.
En Irak, l'UNESCO a réitéré ces dernières années "sa profonde préoccupation" concernant "la vulnérabilité" des marais "face aux développements pétroliers et gaziers", rappelle à l'AFP un porte-parole de l'institution.
L'organisation attend de l'Irak "un engagement continu pour garantir que les activités pétrolières" hors des marais "ne nuisent pas au site et n'empiètent pas sur ses délimitations."
Dans un pays tirant 90% de ses revenus de ses colossales richesses en hydrocarbures, le militant environnementaliste Ahmed Saleh Neema appelle à trouver "l'équilibre entre deux grandes ressources: le pétrole et les marais."
"Les marais c'est une biodiversité, une économie, un patrimoine, un folklore", poursuit l'environnementaliste. "c'est la réputation de l'Irak".
W.Mroz--GL