
"Syndrome aérotoxique": une juge parisienne saisie d'une plainte contre Air France

L'air des avions peut-il affecter la santé ? Une juge d'instruction du pôle parisien environnement et santé publique a récemment entendu un steward qui a porté plainte contre Air France, notamment pour des blessures involontaires qui résulteraient du "syndrome aérotoxique".
Sollicité par l'AFP, Air France a répondu n'avoir "pas connaissance d'une telle procédure" qui constitue la deuxième information judiciaire à Paris concernant cet ensemble de symptômes dénoncé par des personnels navigants aériens. Ces symptômes proviendraient de la contamination par des substances toxiques de l'air pressurisé des avions venant des réacteurs, notamment lors de dégagements de fumée.
Marc (prénom modifié), âgé d'une cinquantaine d'années, est steward pour le transporteur tricolore depuis une vingtaine d'années. Il a déposé en avril 2024 une plainte avec constitution de partie civile, suite à trois malaises qu'il impute à ce syndrome.
Le parquet de Paris avait classé sa première plainte en septembre 2023, jugeant "impossible d’établir un lien de causalité entre un état de santé allégué et un syndrome aérotoxique (...) dont la démonstration scientifique n’est pas établie".
Mais Marc estime auprès de l'AFP qu'il "monte au créneau pour toute la profession" qui est dans "l'omerta", voulant "simplement que l’entreprise protège ses salariés, qu’on change le filtrage de l’air".
Il a été entendu le 22 mai par la juge d'instruction.
L'Association des victimes du syndrome aérotoxique (Avsa) dénonce en effet de longue date le fait que "sur la quasi-totalité des avions de ligne, l'air respiré à bord (...) est contaminé, entre autres, par l'huile utilisée pour la lubrification" des moteurs qui contient des "additifs toxiques".
Entre autres symptômes: maux de tête, vertiges, problèmes digestifs et respiratoires...
- Solution technique "onéreuse" -
Scientifiquement et judiciairement, le débat fait rage.
En 2017, trois chercheurs prônaient dans une étude publiée par l'Organisation mondiale de la santé une "reconnaissance de cette maladie professionnelle" et ce "urgemment".
Trois ans plus tard, la Direction générale de l'aviation civile soulignait dans une note que "ces émanations, parfois incommodantes, peuvent dans des cas extrêmes être incapacitantes."
Mais saisie par l'Avsa et plusieurs syndicats de personnels, l'Agence de sécurité sanitaire a temporisé fin 2023, estimant que des recherches plus approfondies étaient nécessaires.
De son côté, l'Association du transport aérien international (IATA) expliquait en 2018 que "la recherche à ce jour n'a établi aucun lien de causalité" avec les "symptômes" ressentis par des équipages.
"Le risque à long terme pour la santé des équipages (...) est une question controversée et si la recherche sur le sujet doit continuer, il y a beaucoup de désinformation", "pas scientifiquement fondée", critiquait cette organisation des transporteurs.
C'est sur ce débat en cours que la justice française doit aussi se positionner.
- Autre plainte -
Dans le cadre d'une autre information judiciaire à Paris, la même juge d'instruction est saisie d'une autre plainte déposée en 2016, cette fois par un pilote d'Easyjet, se disant lui aussi victime du syndrome.
Une expertise judiciaire de juin 2022 conclut, d'après la source proche du dossier, que de "nombreuses preuves confirment que des expositions se produisent (mais avec une caractérisation insuffisante) et que les personnels de bord présentent certaines altérations de santé plus fréquemment que dans d'autres populations".
Par ailleurs, la cour d'appel de Toulouse a elle estimé dans deux arrêts différents rendus en avril qu'on pouvait exciper de la littérature scientifique un lien entre ces dégagements de fumée dans les cabines de pilotage et le syndrome aérotoxique évoqué.
A ce jour, Easyjet n'est que témoin assisté depuis septembre 2023 dans la procédure parisienne et a été confronté en septembre au pilote plaignant.
Sollicitée, la compagnie britannique a indiqué que ses avions "sont parfaitement conformes aux normes les plus récentes en matière de qualité de l'air et de climatisation", et assuré que "les autorités de régulation de l'aviation et les constructeurs du monde entier (...) n'ont trouvé aucune preuve de problèmes de santé à long terme liés à la qualité de l'air dans les cabines".
Pour Me Béryl Brown, avocate de l'Avsa, "il y a des méthodes de prévention et des solutions techniques, même si elles sont onéreuses, qui ne sont pas mises en œuvre".
J.Michalak--GL