
Quelles conséquences pour les énergies fossiles après l'avis de la Cour internationale de justice?

L'avis historique sur le climat rendu mercredi par la plus haute cour mondiale pourrait rendre plus risquées juridiquement les activités du secteur pétrogazier, à commencer par l'expansion des forages, selon l'analyse d'experts.
La Cour internationale de justice (CIJ) a défendu dans un avis consultatif une position très ferme sur les énergies fossiles, qui a même surpris les observateurs chevronnés du droit de l'environnement.
La plus haute juridiction de l'ONU, basée à La Haye, a déclaré que les États avaient l'obligation de répondre à la "menace urgente et existentielle" du réchauffement climatique.
Allant encore plus loin, elle estime que "le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées" pour protéger le climat des effets néfastes des gaz à effet de serre, "notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles ou en octroyant des permis d'exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles, peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État".
"C'est vraiment important" et "ce sont des conclusions vraiment révolutionnaires", souligne Sophie Marjanac, juriste expérimentée du "Polluter Pays project".
Les avis consultatifs de la CIJ ne sont pas légalement contraignants, mais ils fournissent une interprétation du droit international qui possède un poids juridique majeur. Il peut désormais être utilisé par des parlementaires, des avocats ou des juges du monde entier pour pousser des lois ou des décisions judiciaires favorables au combat climatique.
- Mines de charbon -
Pour Jorge Vinuales, juriste qui a contribué à saisir la CIJ de la question, les conclusions sur les énergies fossiles seront probablement reprises par les tribunaux nationaux et internationaux où les poursuites contre les producteurs de pétrole et de gaz se multiplient.
"Si tel est le cas, cela pourrait avoir des effets considérables", dit à l'AFP ce professeur de droit à Cambridge.
Les compagnies pétrogazières et les pays producteurs peuvent choisir d'ignorer la CIJ, "mais cela fait courir des risques juridiques et contentieux", ajoute-t-il.
L'avis pourrait être cité, par exemple, pour s'opposer à l'expansion d'une mine de charbon, dans un différend entre un investisseur et un État qui lui retire un permis, ou dans une négociation contractuelle impliquant une banque du secteur des combustibles fossiles, évoque Mme Marjanac.
"Cela peut se produire de toutes sortes de façons et un peu partout. L'influence est vraiment illimitée", dit-elle.
Particulièrement dans les pays où le droit international peut être intégré dans le cadre juridique national sans transposition, même si parfois sous conditions.
Dans ces pays, comme la France, l'Argentine ou les Pays-Bas, des juges pourraient bientôt devoir prendre en compte l'avis de la CIJ quand ils entendront plaider des affaires contre les industriels du pétrole.
Même dans les États dits "dualistes", où le droit international est plus compliqué à incorporer, les cours constitutionnelles et autres juridictions ont souvent suivi certains arguments d'avis de la CIJ.
En l'occurrence, le dernier avis "ouvre la voie à des contestations des permis accordées à de nouveaux projets fossiles", affirme Mme Marjanac.
- Au-delà des attentes -
La Cour "a dépassé les attentes" en soulignant la responsabilité des gouvernements dans la pollution causée par les groupes pétroliers et gaziers opérant sous leur juridiction, estime Joy Reyes, de la London School of Economics. Sur ce sujet, elle "met au défi tant l'État que le secteur privé".
"Les pays devront se montrer plus prudents lorsqu'il s'agira d'octroyer des permis et d'adopter des politiques générales sur les énergies fossiles, car cela pourrait les exposer à devoir rendre des comptes à l'avenir", argue cette spécialiste des litiges climatiques, interrogée par l'AFP.
L'avis pourrait également permettre aux petits États de demander réparation aux grands pollueurs devant les juridictions internationales, retient encore Sophie Marjanac.
Quant aux pays menacés par les compagnies pétrolières pour avoir changé leurs politiques climatiques en leur défaveur, ils disposent d'un nouvel appui pour étayer leur défense. En 2022, une Cour avait condamné l'Italie à verser 200 millions d'euros au pétrolier britannique Rockhopper pour lui avoir refusé un permis de forage.
Il sera désormais plus difficile pour un industriel "de prétendre qu'elle a une attente légitime d'exploiter un projet de combustible fossile sans entrave", abonde Lorenzo Cotula, expert juridique international de l'institut de recherche IIED.
V.Lipinski--GL