
Dans un hameau rasé de Cisjordanie, résister à la colonisation israélienne en restant

Juché sur ce qui fut sa maison, Haitham Dababseh aide son père à dégager les gravats. Immortalisé dans un documentaire oscarisé, leur hameau de Khallet Al-Dabaa n'est plus qu'un champ de ruines depuis que les bulldozers israéliens sont passés par là.
Dans cette région du sud de la Cisjordanie occupée, les habitants palestiniens subissent depuis des décennies les violences de colons israéliens et les démolitions menées par l'armée, mais c'est la première fois qu'un hameau de cette taille est intégralement rasé.
Ils "sont venus par le passé et ont démoli trois fois, quatre fois, mais c'est la plus grande entreprise de démolition qu'on ait jamais vue", explique Haitham Dababseh à l'AFP.
"Je n'ai plus que mes vêtements, tout le reste est sous les décombres", ajoute l'agriculteur de 34 ans.
Derrière lui, son père de 86 ans peine à dégager la porte de leur ancienne demeure pour faire place à leur prochain abri, une tente.
L'armée israélienne a indiqué de son côté que "les autorités chargées de l'application de la loi (...) ont démantelé plusieurs structures illégales construites dans une zone militaire fermée" près d'Hébron.
Elle précise que cette mesure a été prise à l'issue "de toutes les procédures administratives requises".
Khallet al-Dabaa, comme d'autres localités de la région de Masafer Yatta, figure en bonne place dans "No Other Land", Oscar du meilleur documentaire, qui retrace la résistance des habitants face aux colons et à l'armée.
Depuis la consécration de ce film israélo-palestinien à Hollywood en mars, plusieurs des localités qui y apparaissent ont été la cible de nouvelles attaques ou de démolitions.
- "Laissez-moi vivre" -
L'armée israélienne a désigné la zone, où vivent un gros millier de personnes réparties entre plusieurs villages, comme terrain de tir militaire depuis les années 1970. Régulièrement, elle y démantèle des bâtisses, qualifiées d'illégales.
Autrefois, bon nombre d'habitants vivaient dans des grottes blotties dans la roche. Puis ils ont érigé quelque 25 habitations, même après la militarisation de la zone.
Premier dans sa famille à être né dans un hôpital et non pas dans une grotte, Haitham Dababseh déplore que les décombres du village bloquent désormais l'accès à l'antre où sont nés son père et son grand-père.
Au centre de Khallet Al-Dabaa, où vivent une centaine de personnes, ce qui faisait office de centre médical et maison communautaire n'est plus qu'un amas de béton brisé.
Au sol gisent encore quelques carreaux --mais plus aucun mur autour-- et un carnet de santé recouvert de poussière.
Sur la paroi de la seule structure encore debout, une peinture murale supplie "Laissez-moi vivre".
- Le ciel pour couverture -
La communauté internationale "fournit une aide de base qui permet aux Palestiniens de survivre, mais pas de protection", regrette Mohammed Rabaa, président du conseil du village voisin de Tuwani.
Du doigt, il désigne les collines encerclant le hameau détruit, toutes surmontées d'avant-postes tenus par des colons israéliens.
"Depuis le début de la guerre à Gaza [en octobre 2023], neuf avant-postes ont germé dans la région de Masafer Yatta", affirme Mohammed Rabaa.
Les colons qui y habitent "attaquent les maisons, brûlent des biens, détruisent et vandalisent" en toute impunité, voire avec la protection de l'armée, pour pousser les Palestiniens à partir, selon lui.
"Ils ne veulent pas d'une présence palestinienne", dit-il.
La colonisation juive en Cisjordanie, où vivent aujourd'hui environ 500.000 Israéliens au milieu de quelque trois millions de Palestiniens, est régulièrement dénoncée par l'ONU comme illégale au regard du droit international.
Israël n'en a cure et, mardi, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, colon d'extrême droite, a dit espérer que son gouvernement annexerait formellement la Cisjordanie avant la fin de la législature, en novembre 2026.
A 76 ans, dont 60 passés à Khallet Al-Dabaa, Oum Ibrahim Dababseh assure qu'elle ne quittera jamais les lieux.
"Je leur ai dit +Creusez ma tombe ici même+", confie-t-elle, en racontant comment des soldats l'avaient traînée hors de chez elle.
"Je n'ai même pas eu le temps de m'habiller correctement, je faisais le ménage chez moi", ajoute-t-elle, assise avec ses petites-filles à l'ombre d'un olivier.
Tout près, des proches fouillent parmi les gravats.
Comme Oum Ibrahim, avec qui il a des liens de parenté éloignés, Haitham Dababseh refuse de partir.
"La nuit dernière, j'ai dormi là", dit-il en désignant un lit installé à même le sol rocailleux et exposé aux éléments.
"J'ai un lit, très bien... Le ciel sera ma couverture, mais je ne partirai pas".
F.Jankowski--GL