
Réseau vétuste et changement climatique, la Bulgarie manque d'eau

Remplir des bidons, faire tourner la machine à laver ou se doucher: il faut choisir. Dans le village bulgare de Gorna Studena, l'eau se fait de plus en plus rare chaque année, entre vieillissement des canalisations et réchauffement climatique.
Rumyana Tsoneva, énergique habitante de 69 ans, ouvre le robinet de sa cour mais rien ne se passe. Et quand un filet d'eau arrive enfin, c'est pour quelques heures seulement.
Située à une trentaine de kilomètres du Danube dans une plaine fertile, la commune est en état d'urgence depuis un mois. L'eau y est rationnée, et malgré ces mesures, des maisons en sont parfois privées pendant plus de deux jours.
Dans ce pays de 6,4 millions d'habitants, le plus pauvre de l'UE, plus de 156.000 personnes étaient affectées mi-juillet par des coupures d'eau.
Une crise qui nourrit la colère de la population sur fond d'instabilité politique.
"Cela fait 15 ans que ça dure, mais chaque année, la situation empire", soupire la sexagénaire, tout en observant la terre craquelée de son jardin.
- "Une goutte sur deux est perdue" -
Cette ancienne agronome de la coopérative locale, qui vit seule dans la grande demeure familiale avec pour toute compagnie son chien et une dizaine de poules, cultive du maïs.
Mais elle sait déjà que la récolte ne donnera rien cette année.
Si elle a conscience de l'impact du changement climatique, elle refuse qu'il serve de prétexte à l'inaction de l'Etat. "On voudrait que les jeunes reviennent au village... moi, je ne leur conseillerais pas", lâche-t-elle, résignée.
Gorda Studena ne compte plus que 200 habitants, soit dix fois moins que dans les années 1960. Le centre médical, la pharmacie, l'école ont fermé.
"La mauvaise gestion et les infrastructures vieillissantes amplifient les effets du réchauffement", explique Emil Gachev, expert de l'Institut de recherche sur le climat et l'eau au sein de l'Académie des sciences.
La plupart des canalisations ont été installées il y a 60 ans, voire avant la Seconde guerre mondiale, et le réseau fuit de partout. Sans compter les détournements illégaux d'eau par des particuliers et même des entreprises.
"Une goutte sur deux est perdue avant d'arriver au robinet", précise le chercheur, la Bulgarie figurant au dernier rang de l'UE en la matière, selon des données de la fédération EurEau datant de 2021.
De quoi rendre la situation intenable quand, au même moment, la sécheresse s'aggrave: ces derniers temps, les précipitations printanières ont fortement diminué comparé à la moyenne des 25 années passées, et dans le nord-ouest, certains barrages-réservoirs ne sont remplis qu'à quelque 20% de leur capacité.
- "On ne demande pas une piscine" -
D'après une première étude sur le sujet présentée cette semaine par M. Gachev, la Bulgarie se rapproche dangereusement d'une crise hydrique durable.
"Les soucis d'approvisionnement concernent tout le pays, ce qui suggère qu'il s'agit d'un problème systémique plutôt qu'isolé, aux importantes dimensions sociales, sanitaires et économiques", souligne l'analyste.
Sous l'effet du dérèglement climatique, les périodes de rationnement vont durer plus longtemps et de plus en plus de localités seront affectées, s'inquiète-t-il.
Dans un rapport tout juste publié, une commission parlementaire a confirmé l'ampleur du problème et recommandé une série de mesures, dont la mise en place d'un fonds national pour moderniser les infrastructures.
A Gorna Studena, où les habitants ont protesté l'an dernier en bloquant la circulation, le téléphone du maire ne cesse de sonner.
Plamen Ivanov, qui attend une livraison de bouteilles d'eau par les services de l'Etat, explique que la situation crée des tensions entre habitants: "les uns se plaignent que ceux d'en bas en ont trop, les autres qu’ils doivent subir des coupures à cause d'eux. Tout cela retombe sur moi."
Un peu plus loin, Nivyana, fichu sur la tête et jupe colorée, sort de chez elle, un seau à la main.
Elle a de la chance: l'une des citernes bleues installées par les autorités trône juste devant sa porte. "Je voulais laver mes vêtements", glisse cette habitante de 83 ans au visage buriné par le soleil, qui n'a pas voulu donner son nom de famille. "Mais l'eau s'est tarie avant que je puisse finir."
"On ne demande pas une piscine, juste une vie normale", lance Rumyana Tsoneva.
Q.Sikora--GL