
Birmanie: à Mandalay, le drame des déplacés face au conflit et aux ruines du séisme

Entre les murs effondrés du palais de Mandalay, dans le centre de la Birmanie, six veuves tout juste arrivées et hantées par le chagrin découvrent une ville dévastée par un séisme, et à nouveau secouée par un conflit.
Leurs époux sont morts pour la cause de la junte, les laissant en deuil. Elles ont dû évacuer leur ville natale "détruite par la guerre" pour cet improbable refuge, lui aussi meurtri par la guerre et le séisme.
"Certains de nos maris sont tombés au combat sous nos yeux. D'autres sont tombés loin d'ici", raconte l'une d'elles, qui élève désormais seule ses trois enfants.
Dans les rues de Mandalay où elle vit aujourd'hui, la plupart des bâtiments effondrés ont été déblayés, les échafaudages se multiplient et les déplacés affluent.
Selon les chiffres des Nations unies, plus de 90.000 personnes, dont beaucoup se bousculent pour obtenir de l'aide, vivent déplacées dans la région de Mandalay.
Une partie d'entre eux arrive de la ville minière de Mogok, située à une centaine de kilomètres au nord, pilonnée par des frappes aériennes de la junte depuis qu'elle a été reprise par les rebelles l'été dernier.
A Mandalay, certains anciens habitants de Mogok vendent des pierres précieuses dans un centre commercial aux murs fissurés.
Au-dessus de la ligne d'horizon, des avions de combat et des hélicoptères vrombissent.
"En raison des combats intenses qui ont lieu chaque jour, de plus en plus de personnes arrivent", explique un nouveau venu, qui fait commerce de minuscules saphirs.
- Elections -
La junte a promis des élections à partir du 28 décembre, les présentant comme un moyen de mettre fin au conflit qui l'oppose à de nombreux adversaires, un ensemble complexe de groupes armés prodémocratie et de minorités ethniques.
Mais les militaires ont déclaré ne pas organiser de scrutin dans cette région centrale du pays.
Un expert des Nations unies a qualifié cette élection de "fraude", et les rebelles ont prévenu qu'ils la bloqueraient.
Luttant pour subvenir à leurs besoins quotidiens, certains réfugiés ne se soucient guère des élections.
"Je ne comprends rien à la politique", confie l'une des veuves. "Je ne pense pas qu'il soit bon que les Birmans se battent entre eux."
"Je ne veux pas me demander qui a raison ou tort, qui détient le pouvoir, qui fait de la politique ou quoi que ce soit d'autre", renchérit un enseignant déplacé de 56 ans. "Mais ce que je sais, c'est que je déteste vraiment la guerre."
Drapée sur le parapet du palais de Mandalay, recouvert de bâches, une bannière militaire rouge vif affiche un message véhément: "Coopérez et écrasez tous ceux qui nuisent à l'union".
- "Se débrouiller seul" -
Le séisme de magnitude 7,7 fin mars a porté un nouveau coup dur à la Birmanie, déjà secouée par une guerre civile depuis que l'armée a pris le pouvoir lors d'un coup d'Etat en 2021.
Il a tué près de 3.800 personnes et rasé des quartiers entiers de Mandalay, ancienne capitale royale entourée de montagnes couvertes par la jungle et dans laquelle serpente le fleuve Irrawaddy.
Selon les analyses de la Nasa, le séisme de mars a frappé avec une telle force que le sol s'est déchiré jusqu'à six mètres à certains endroits, creusant des trous béants dans les routes.
Sur le site d'un condominium effondré où 206 personnes ont été déclarées mortes, les derniers corps ont été retrouvés à la mi-septembre, d'après un secouriste.
Un agent de sécurité, qui surveillait autrefois les allées et venues quotidiennes des résidents, est resté à son poste pendant les six derniers mois.
Il a observé une ville paralysée par la combinaison de catastrophes naturelles et humaines.
"Chacun a ses propres problèmes et doit se débrouiller seul", a déclaré cet homme de 65 ans, s'exprimant sous couvert d'anonymat. Les gens, selon lui, "n'ont pas été en mesure de s'entraider".
L.Sawicki--GL