Présidentielle au Cameroun: à Douala, des familles endeuillées par les violences post-électorales
Sous un ciel gris, la cour d'une maison familiale du 3ème arrondissement de Douala s'est mué en lieu de recueillement: Achille Simo, 45 ans et père de cinq enfants, a été tué mercredi par balles en marge des violences qui secouent le Cameroun depuis la réélection contestée de Paul Biya.
Des proches de la famille sont venus apporter leur soutien à Elodie Fougué, désormais veuve de 39 ans, qui reçoit les condoléances en silence.
Depuis lundi et la réélection pour un huitième mandat de Paul Biya, 92 ans et au pouvoir depuis 1982 au Cameroun, les grandes villes du pays ont été secouées par des manifestations à l'appel du candidat autoproclamé victorieux Issa Tchiroma, mais réprimées dans le sang par le régime.
Achille Simo a été tué par balles mercredi alors qu’il se rendait dans une échoppe du quartier, selon des témoins.
"Le militaire lui a demandé de dégager de la route. Achille a répondu : +Faites votre travail, nous ne vous dérangeons pas+. Le capitaine a tiré à bout portant alors qu’il avait le dos tourné", raconte Basile Njeumeni Nana, son voisin de 40 ans.
"Comment peut-on abattre un civil qui ne représentait aucun danger ? Son seul tort a été de sortir pour chercher à manger pour sa famille", interroge le frère cadet de la victime, Christian Fokam. "Il ne manifestait même pas".
Non loin de l'endroit du tir, des habitants montrent des taches de sang encore visibles sur la chaussée malgré les récentes pluies.
"Depuis, le quartier vit dans la peur", raconte un voisin. Des militaires en patrouille passent sans un mot.
Le gouverneur de la région du Littoral a déploré quatre morts dimanche à Douala en marge d'une manifestation organisée la veille de la proclamation des résultats. Le gouvernement camerounais a admis mardi "des morts" dans les troubles post-électoraux sans toutefois préciser le nombre, lieu ou dates des décès.
Il y a "des centaines de morts et de blessés" selon un décompte du candidat Issa Tchiroma Bakary vendredi. Cet ancien ministre passé à l'opposition a crée un engouement inattendu chez les jeunes avides de changement. Il revendique la victoire à l'élection et a appelé à plusieurs reprises les Camerounais à sortir pour défendre sa victoire.
- "Opération ville morte"
À quelques rues de là, dans le quartier Newbell du 2ème arrondissement de Douala, une autre maison porte le deuil.
Les portes sont closes : la famille est partie enterrer Mohamed Pouamou, un chauffeur de 22 ans, victime collatérale d'une manifestation dimanche, selon ses proches.
Devant le portail, un groupe de jeunes discute à voix basse. "Il était assis, regardait un match dans une salle de projection. Une balle venue de nulle part l'a touché en pleine tête", affirme Idriss Fifen, mécanicien de 29 ans, qui dit avoir vu la scène.
Plusieurs villes ont été secouées par des manifestations sporadiques et limitées - quelques centaines de jeunes au maximum depuis l'annonce des résulats de l'élection.
À Douala ou encore à Garoua, fief de Tchiroma dans le nord du Cameroun, des affrontements ont opposé manifestants et forces de sécurité. Des témoins affirment que des tirs ont été effectués à balles réelles dans certains quartiers.
Paul Atanga Nji, ministre de l'Administration territoriale, a reconnu "des pertes en vie humaine" dans les affrontements et déploré "plusieurs édifices publics, commerces et bien privés", "incendiés, saccagés et pillés", à travers le pays.
"Des scènes de pillages et de vandalisme", ont notamment eu lieu à Douala, la capitale économique, a assuré le ministre.
Depuis ces incidents, la ville tente de retrouver un semblant de normalité. Certaines boutiques ont rouvert, mais la tension et la peur restent perceptibles.
Issa Tchiroma Bakary, qui était reclus à son domicile de Garoua depuis la proclamation des résultat, a assuré vendredi être sous la "protection" d'une partie de l'armée et a appelé à le soutenir via des "opérations ville morte" de lundi à mercredi.
"Gardons nos commerces fermés, suspendons nos activités, restons chez nous, en silence, pour montrer notre solidarité et rappeler à ce régime que la force d’une économie, c’est son peuple — et ce peuple ne le reconnaît plus comme son leader", a-t-il détaillé.
Dans plusieurs quartiers de Douala, des habitants disent faire des provisions en prévision de ces journées.
L'Union européenne et l'Union Africaine ont déploré la violence de la répression du régime. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a appelé à l'ouverture d'une enquête.
R.Kozlowski--GL